14 août 2024

L’IA au travail : quels impacts, quelles menaces, quelles opportunités?

Si elles semblent inéluctables, les transformations induites par l’intelligence artificielle sur l’activité des salariés sont encore parfois abstraites ou insuffisamment conscientisées. Pour tenter d’y voir plus clair, quatre militants CFTC ont accepté de témoigner des changements que l’IA a déjà pu avoir sur leurs métiers respectifs

 

 


Fabien Calcavechia, journaliste photographe chez DSC Infopro Digital. Président du syndicat national CFTC de la presse, de la publicité et des métiers de l’écrit et de la fédération communication

« Je travaille pour un groupe de presse spécialisée, qui compte 2000 salariés en France et 4000 dans le monde. Mon entreprise se voit déjà affectée par l’irruption de l’IA… Pour l’instant, c’est la direction des systèmes d’information qui se trouve touchée : 5 % des effectifs de l’entité concernée viennent d’être licenciés… Ce chiffre de 5 % peut paraître anodin. À tort : il dévoile selon moi les prémices d’un changement majeur. Je ne crois pas à une mise en œuvre progressive et linéaire de l’IA dans nos organisations de travail. J’entrevois plutôt une accélération brutale et exponentielle, une fois que ses fonctionnalités seront davantage éprouvées.

En tant que délégué syndical central, j’ai essayé de réagir sur deux fronts. J’ai d’abord demandé une étude pour identifier les métiers qui seront touchés et intégrer ces données à la GEPP, la gestion des emplois et des parcours professionnels. J’ai ensuite visé directement le métier de secrétaire de rédaction, en demandant à l’employeur si ces postes se voyaient menacés. Mes requêtes sont restées lettre morte. C’est une erreur de la part de l’entreprise, il faudrait pouvoir anticiper au maximum les reconversions ou adaptations des métiers… En tant que syndicalistes, nous devons être à la pointe de ces réflexions sur le futur de l’emploi. »

« On risque plutôt d’être remplacés par des personnes qui savent comment fonctionne l’intelligence artificielle. Il faut donc absolument se former. »

Luc Velter, président du syndicat national CFTC DGFIP, le syndicat CFTC de la Direction générale des Finances publiques

« L’IA est entrée à la DGFIP il y a environ 10 ans. “LLaMandement”, un outil porté par la Direction de la transformation numérique de la DGFIP, fonctionne avec cette technologie. Il automatise une partie du traitement des amendements parlementaires lors de l’examen du projet de loi de finances en séance publique, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Grâce à LLaMandement, trois étapes sur quatre ont ainsi pu être presque entièrement automatisées. Avec un travail de qualité équivalente à celui d’un humain spécialiste et, surtout, réalisé beaucoup plus rapidement : 15 minutes contre 6 à 10 heures !

Pour le syndicat national CFTC Finances publiques, l’usage de plus en plus important de l’IA pose un certain nombre de questions, notamment en termes de conditions de travail (organisations de travail, pratiques managériales, relations de travail). Nul doute que le déploiement de l’IA conduira à l’émergence de nouvelles formes d’organisation et de coordination… Il faudra notamment avoir une réflexion de fond sur la redistribution des gains permis par l’IA vers une réduction du temps de travail et un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. »

« Le progrès, c’est toujours l’histoire de ce qu’on décide d’en faire… C’est pourquoi les organisations syndicales doivent d’ores et déjà s’emparer du sujet de l’IA. »

François Martin-Chave, consultant chez Néosoft (conseil en transformation digitale), site de Paris, 250 salariés sur 1300 en France. Adhérent CFTC

« Je travaille sur l’IA et, de manière plus large, sur l’hyperautomatisation. J’observe, à travers mon métier de consultant, que l’IA fait vraiment irruption dans notre paysage. Ma dernière mission pour un client concerne l’automatisation de process : le programme mis en place va faire économiser plusieurs millions en équivalent temps plein à l’entreprise… Pour moi, un véritable tsunami est à l’approche !

Après, le progrès, c’est toujours l’histoire de ce qu’on décide d’en faire. Si on veut, avec les potentialités de l’IA, faire quelque chose de “bien”, c’est possible… Mais si on remplace les salariés par une machine, ça devient franchement négatif et nécessite une protection immédiate des salariés… C’est pourquoi les organisations syndicales doivent d’ores et déjà s’emparer du sujet, même si elles ont la sensation de ne pas encore le maîtriser. De toute façon, on apprend en marchant… On ne peut pas se contenter d’être dans la réaction quand un sujet revêt autant d’implications éthiques ! La CFTC s’y penche déjà fort heureusement : l’UD de Meurthe-et-Moselle m’a invité pour en parler. Il nous faut poursuivre cet élan. »

Grégoire Dacheux, délégué syndical chez Capgemini (1200 salariés sur 35000 en France)

« Capgemini est fournisseur de compétences en intelligence artificielle. Mais l’IA fait partie d’un ensemble de solutions proposées aux clients et ne correspond pas à l’essentiel de leurs besoins actuels… La difficulté avec l’IA, c’est de bâtir des prospectives… Selon moi, on ne sera pas remplacés par une machine – en tout cas, pas tout de suite – à cause des investissements colossaux que cela nécessiterait. On risque plutôt d’être remplacés par des personnes qui savent comment fonctionne l’intelligence artificielle. Il faut donc absolument se former.

Si l’IA est correctement mise en œuvre, si on lui délègue la technique pure, on peut alors ajouter de la plus-value humaine à certains métiers. Quoi qu’il en soit, je suis complètement d’accord avec les propos du chercheur français Luc Julia : l’IA n’est pas intelligente. C’est un mélange de statistiques, de mathématiques et d’informatique. Mais elle est puissante. Et cette puissance, c’est à nous de la maîtriser ! »


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