À Orange, la CFTC veut trouver un horizon au-delà des crises
Si l’entreprise n’avait pas fait appel, certains de ses ex cadres dirigeants – condamnés en première instance – s’étaient pourvus en cassation. Un pourvoi rejeté par la plus haute juridiction française, ce mardi 21 janvier. La fin d’un feuilleton judiciaire éprouvant pour les salariés du géant des télécommunications, qui doivent cependant encore composer avec un contexte social trouble, sur fond des transformations menées par l’entreprise. Explications avec Frédéric Michaux, président de la CFTC Orange.
Salarié du groupe depuis 25 ans, vous êtes depuis mars 2024 président de la section CFTC d’Orange. Qu’est-ce qui a provoqué votre engagement syndical ?
Ingénieur de formation, j’ai toujours travaillé dans le secteur des télécoms. J’ai fini par rejoindre la direction financière du groupe Orange, pour laquelle j’ai exercé différents métiers, par moments dans un contexte managérial particulièrement malsain. Il y a une dizaine d’années, je me suis donc dit qu’il fallait faire avancer les choses, se défendre à titre personnel et collectif, et ai donc débuté en tant que délégué du personnel. Aujourd’hui, je suis en charge de la présidence de la section, en binôme avec Mathieu Boban, le secrétaire national de la CFTC Orange. Nous travaillons entourés d’une équipe très mobilisée et motivée.
Le contexte social s’est-il amélioré depuis la vague de suicides qui ont touché l’entreprise et abouti au départ de son ex PDG, Didier Lombard ?
Les méthodes de management ont été d’une brutalité inouïe, la crise sociale a été très violente et les patrons sont passés au tribunal pour de bonnes raisons. Nommé PDG en 2011, Stéphane Richard a essayé de favoriser la paix sociale, ce qu’il a plutôt réussi. Cependant, la direction a levé le pied sur les transformations qui, compte tenu d’une intensité concurrentielle accrue, auraient été nécessaires. Sur certains aspects, nous avons été distancés par nos concurrents, opérateurs français ou étrangers, et les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont capté une partie de la valeur.
La nouvelle patronne, Christel Heydemann, est arrivée il y a bientôt trois ans, avec l’objectif de trouver des leviers de croissance. Mais tout ce qu’elle propose pour l’instant, ce sont des réductions de coûts, nous manquons encore d’une vision stratégique établie. Cela provoque des tensions parmi les salariés : de l’inquiétude, de la perte de sens, et aussi de la colère consécutive à une NAO 2024 qui n’a pas été comprise par une majorité de salariés. Le corps social de l’entreprise n’est donc pas en bon état.
Orange est issue de l’administration (NDLR : jusqu’en 2004, c’est l’Etat qui était actionnaire majoritaire de France Télécom), donc nous avons des effectifs bien plus importants que nos concurrents. La recherche d’une meilleure efficacité économique nécessite des transformations et provoque des chocs avec les organisations syndicales. Cette réorganisation est pour l’entreprise une question de survie, mais le retour du terrain est que tout cela va bien trop vite… La direction considère que c’est « probablement vrai, mais inéluctable ».
Un accord générationnel a été mis en place il y a deux ans, un autre est en cours de négociation aujourd’hui. Les salariés âgés d’une soixantaine d’années ont la possibilité de travailler de chez eux: ils perçoivent 60 à 65 % de leur salaire jusqu’à ce qu’ils atteignent leurs droits à retraite à taux plein. Cependant, dans les services, ceux qui restent doivent assumer le travail supplémentaire…On nous explique que c’est temporaire, qu’on va trouver une solution avec des intérimaires… Le résultat est une exposition accrue de certains salariés aux risques psychosociaux.
La transformation de l’entreprise passe aussi par des externalisations et la mutualisation de certains services. Qu’en pensez-vous ?
On externalise, parce qu’on veut remplacer des coûts fixes par des coûts variables, afin d’augmenter l’agilité de l’entreprise. Par exemple, pour le déploiement de la fibre, qui prendra encore une dizaine d’années, nous faisons appel à des sociétés extérieures pour ne pas avoir à nous séparer de salariés ultérieurement. C’est également le cas pour la maintenance des réseaux, et cela se passe ainsi chez tous les autres opérateurs qui poussent le modèle encore plus loin que nous.
Ces changements engendrent-ils un certain nombre d’inquiétudes, auprès des salariés ?
Oui, naturellement. La mutualisation de certains services est, par exemple, un autre axe de transformation qui génère des frictions. En somme, tout cela met beaucoup de temps à se roder, et bien plus que ce que l’on croit. Il faut faire son deuil de la façon dont on travaillait précédemment, et c’est perturbant. Maintenant, c’est aussi à nous, syndicats, de jouer notre rôle pour que les salariés soient protégés et armés pour faire face à cet environnement économique et social trouble: à titre personnel, je dispose d’un bon réseau relationnel dans l’entreprise et je suis convaincu que la CFTC peut trouver des solutions, non seulement pour se tenir informée des changements à venir, mais aussi pour se faire entendre, en vue de préserver les intérêts des travailleurs.
Procès France Télécom : condamnation définitive
Accusée d’être responsable d’une vague de suicides parmi ses salariés dans le cadre de plans de restructuration entre 2006 et 2009, France Télécom a été, en 2019, la première entreprise du CAC 40 condamnée pour « harcèlement moral institutionnel ».
Deux des prévenus ayant fait appel, l’ex-PDG Didier Lombard, et son numéro 2, Louis-Pierre Wenès, ont vu leur condamnation confirmée en 2022. Malgré un dossier accablant, ils ont décidé de se pourvoir en cassation, pourvoi qui a été rejeté ce 21 janvier. « Il y a un acharnement chez eux à ne pas reconnaître leurs torts, réagit Frédéric Michaux. Selon l’avocat général, s’ils décident de se tourner vers la Cour européenne des droits de l’Homme – leur ultime recours –, ils ont peu de chances d’échapper à leur condamnation. »
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