Pascale Coton : « En entreprise, les inégalités femmes-hommes se réduisent, mais beaucoup trop lentement »
Comment évaluer les inégalités femmes-hommes en entreprise ?
D’abord, je pense qu’il faut mentionner quelques données significatives : en premier lieu, on constate que les salariées gagnent aujourd’hui 24 % de moins que les hommes dans le secteur privé, ce différentiel étant de 14% dans le public. Elles travaillent aussi plus souvent à temps partiel, dans des métiers moins bien payés que les hommes. Ensuite, si on veut tirer un constat général, on s’aperçoit que les inégalités entre les femmes et hommes se réduisent, mais légèrement et beaucoup trop lentement. A équivalent temps plein et à poste et profil égaux, les femmes gagnent par exemple toujours 4% de moins que les hommes. Ce n’est pas seulement la valeur de l’écart qui est à souligner, mais son existence même : à poste égal, ces différences de rémunération sont contraires à la loi et, de facto, inadmissibles. Pour les femmes, il n’est d’ailleurs parfois pas évident de les dénoncer : beaucoup d’entre elles – pour sauvegarder leur emploi et leur famille (surtout quand elles sont en situation de monoparentalité) – expliquent qu’elles sont conscientes de subir une discrimination salariale. Pourtant, elles préfèrent bien souvent ne rien dire, pour s’éviter une situation de conflit au travail, voire un éventuel licenciement.
Parmi les bas salaires, on retrouve aussi plus de femmes. Elles représentent ainsi 58% des salariés payés au SMIC. Du fait de la réduction des cotisations patronales sur les salaires à partir d’1,6 SMIC – qui n’incite pas les employeurs à revaloriser leurs salariés embauchés au salaire minimum – elle sont également davantage susceptibles de voir leur rémunération stagner plus longtemps au minimum légal. En outre, le maintien de ces inégalités femmes-hommes concerne aussi les métiers les plus qualifiés et les mieux rémunérés. A titre d’exemple, la part des cadres femmes n’est seulement passée que de 35% à 37%, depuis 2012.
Un autre déterminant majeur de l’égalité femme-homme en entreprise, c’est l’accès facilité à des modes de garde pour les enfants en bas âge. Ces solutions d’accueil sont-elles suffisantes aujourd’hui ?
C’est très loin d’être le cas. Aujourd’hui, 20% des parents bénéficient d’un mode de garde, type assistante maternelle, crèche privée ou municipale. Pour les autres, c’est du bidouillage : on fait appel à des membres de la famille, à des copains…Un des deux parents – souvent la femme – peut aussi arrêter de travailler ou se mettre à temps partiel, pour s’occuper de l’enfant. A titre d’exemple, le taux d’activité des mères en couple avec enfants était de 81,3% en 2020, contre 95,5% pour les pères. En résumé, la parentalité est plus susceptible de nuire à la carrière professionnelle des femmes que des hommes, mais aussi à leur après carrière : l’allongement de la vie professionnelle induit par la dernière réforme des retraites les fragilise ainsi davantage. Leurs vies professionnelles ayant tendance à être plus hachées, il leur sera plus difficile de valider tous leurs trimestres et d’avoir une retraite complète. Or, elles ont déjà des retraites qui sont en moyenne inférieures de 40% à celles des hommes…Il existe certes des dispositifs qui permettent aux mères de valider plusieurs trimestres en cas de congé maternité, mais ce différentiel montre bien qu’ils ne sont pas suffisants.
A ce titre, la CFTC milite pour la création d’un service public de la petite enfance, qui doit viser à répondre à toutes ces problématiques de fond sur la garde des enfants. C’est un chantier fondamental : selon des estimations du Conseil économique, social et environnemental (CESE), il faudrait entre 5 et 7 ans pour qu’il y ait suffisamment de places en crèche et d’assistantes maternelles, pour pouvoir pallier à toutes les difficultés que j’évoquais précédemment. Aujourd’hui, des crèches sont construites, mais il n’y a globalement pas assez de personnel formé pour y travailler : il y a, entre autres choses, un problème d’attractivité des métiers de la petite enfance, qu’il faudrait davantage reconnaitre et rémunérer. C’est crucial de traiter au plus vite ces enjeux-là, car de nombreuses assistantes maternelles vont bientôt partir à la retraite sans être remplacées : dans les 5 ans, leurs effectifs vont diminuer de 50%. Si on augmente significativement les solutions de garde d’enfants, les femmes auront la possibilité, si elles le souhaitent, de rester moins longtemps en congé maternité ou parental. Elles pourront ainsi préserver la continuité de leur carrière, ce qui facilitera la possibilité de les voir bénéficier de rémunérations qui ne stagnent pas au SMIC. Elles pourront aussi davantage cotiser pour leurs retraites.
Sur quels autres dispositifs travaillent la CFTC et les partenaires sociaux, dans l’optique de favoriser l’égalité femme-homme en entreprise ?
D’abord, en tant que membre du Haut conseil à l’Egalité (HCE), la CFTC travaille à une proposition de réforme de l’Index Egalité femmes-hommes. Cet indicateur, mis en place depuis 2020 par le gouvernement, vise à mesurer les écarts de rémunération entre les sexes et à réduire les inégalités de genre. Néanmoins, il est encore très imparfait : aujourd’hui, il ne concerne que 26% des travailleurs, puisqu’il ne s’applique qu’aux entreprises de plus de 50 salariés. La CFTC voudrait qu’il soit généralisé à tous les employeurs, avec une mise en œuvre simplifiée et adaptée aux besoins des TPE/PME. Nous travaillons également à proposer une refonte de certains des indicateurs de l’index. Je vous donne un exemple : un des critères de l’index mesure si, conformément à la loi, les salariées sont bien augmentées à l’issue de leur congé maternité, dès lors que des augmentations ont été annoncées dans l’entreprise. Ce critère est, en soit, très discutable : pourquoi attribuer des points quand une entreprise respecte simplement une obligation légale ? Pour la CFTC, c’est donc plutôt un malus qu’il faudrait mettre en place, concernant cet indicateur en particulier.
L’autre sujet majeur, c’est le congé parental, que le gouvernement a annoncé souhaiter réformer : en somme, l’idée serait de mieux rémunérer cette prestation, mais sur une temporalité plus courte (NDLR : la durée de versement de cette prestation peut actuellement, sous conditions, être portée jusqu’à trois ans, dans la mesure où le congé parental est partagé entre les deux parents).La CFTC n’est pas opposée à un raccourcissement du congé parental, mais seulement s’il est beaucoup mieux rémunéré. Aujourd’hui, cette aide est de 428 euros mensuels, pour un congé à temps plein. Notre organisation préconise que le congé parental soit plutôt réévalué à 85% du dernier salaire du bénéficiaire de la prestation. La CFTC défend par ailleurs un congé parental porté à 6 mois pour chacun des parents, avec la possibilité pour l’un d’eux – si son conjoint ne le prend pas – de bénéficier pendant un an du dispositif, par effet de report. En outre, le congé maternité (de 10 semaines) et le congé paternité (de 28 jours) ne doivent pas rentrer dans le calcul de ces 6 mois, sinon, cela fait beaucoup trop peu pour l’enfant. Ces modalités que nous proposons répondent, à mon sens, à deux impératifs qui conditionnent l’efficacité et l’équité de ce congé parental : à savoir, encourager les deux parents – et pas seulement la mère – à solliciter cette prestation et préserver le bien-être et le développement de l’enfant.
Retrouvez l’article complet sur le site CFTC.fr