Congés payés acquis en arrêt maladie : mode d’emploi et conséquences d’un nouveau droit
C’est une question sur laquelle le droit européen est très clair : les travailleurs absents pour cause d’arrêt maladie doivent bénéficier de congés payés. Néanmoins, le code du travail français continuait de stipuler précisément le contraire. Une contradiction à laquelle a donc mis fin la Cour de cassation : selon un arrêt qu’elle a prononcé le 13 septembre dernier, tout salarié arrêté pour une maladie non-professionnelle génère désormais des droits à des congés payés, pendant sa période d’absence. La CFTC ne peut que se satisfaire de voir enfin le droit français s’aligner sur le droit de l’UE à ce sujet : par le passé, elle avait déjà pu souligner au gouvernement qu’il devait rendre conforme sa législation à la directive européenne de 2003, en matière d’articulation entre les congés payés et la maladie.
Des changements profonds et durables
Pour le droit européen, le droit aux congés payés est en effet un principe essentiel, attaché à la qualité de travailleur : il n’établit pas de connexion entre temps de travail effectif et droit aux congés. Par conséquent, il assimile à une période de travail effectif l’acquisition d’un droit aux congés payés, pendant les arrêts maladie. Par ailleurs, l’acquisition de ces congés payés durant un arrêt maladie n’est pas limitée aux 4 semaines minimales garanties par la loi de l’UE : elle s’étend si besoin à une 5e semaine, voire au-delà si les conventions collectives de l’entreprise en prévoient (afin de ne pas discriminer à cet égard certains salariés en raison de leur état de santé). La transposition de ce versant du droit européen dans le droit français s’applique aussi à d’autres cas de figure plus spécifiques : par exemple, aux modalités d’acquisition des congés payés en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Le cas échéant, le droit français prévoit effectivement qu’un salarié peut acquérir des congés payés s’il est arrêté, mais uniquement dans la limite d’une année. Contraire au droit de l’UE, ce plafonnement d’un an a lui aussi été écarté par la Cour de cassation : le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle a donc désormais droit à l’intégralité de ses congés payés pendant toute la durée de son arrêt de travail, et sans limite préétablie.
Une rétroactivité à double tranchant
Ce réalignement du droit du travail français sur la législation continentale est susceptible de générer des effets importants : s’ils en font la demande, les salariés présentement en arrêt de travail pour une maladie ou un accident du travail peuvent en effet exiger que la période de leur arrêt maladie soit prise en compte pour l’acquisition de congés payés. L’arrêt maladie leur permet d’acquérir l’intégralité des congés payés prévus par la loi, auxquels s’ajoutent les congés additionnels éventuellement applicables à l’entreprise, du fait de la convention collective à laquelle elle est rattachée. Par ailleurs, cette disposition est rétroactive : les salariés ont aussi la possibilité de demander à ce que leurs précédents arrêts maladie génèrent également des droits de congés payés. Deux cas de figure émergent alors : si le contrat de travail du salarié est toujours en cours, il peut simplement demander à se voir attribuer des jours de congés payés qui correspondent à son arrêt de travail. Si son contrat de travail est arrivé à son terme, le salarié peut en revanche demander à son ex-employeur le versement d’une indemnité compensatrice de congés payés, en réparation de son préjudice passé.
La question déterminante porte sur les périodes susceptibles de faire l’objet d’une attribution rétroactive de congés payés (ou d’indemnités compensatrices de congés payés). Toujours selon la jurisprudence européenne, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration d’une période légale, qui est fixée à trois années en France. Néanmoins, cette prescription n’est applicable que si l’employeur justifie avoir accompli l’intégralité des diligences qui lui incombent légalement, afin de permettre au salarié d’exercer son droit aux congés payés. Ce qui n’était pas le cas de la majorité des entreprises françaises : si elles respectent le droit national, elles n’étaient en effet pas en phase avec le droit européen, puisqu’elles n’offraient pas à leur salariés la possibilité d’acquérir des congés payés, lorsqu’ils étaient en arrêt maladie. En d’autres termes, les salariés français pourraient exiger de bénéficier rétroactivement de congés payés ou d’indemnités compensatrices de congés payés, sur une période illimitée.
Conséquences à prévoir et rôle du dialogue social
Une demande massive d’attribution de ces droits aux congés payés pourrait potentiellement générer pour les entreprises de problèmes de fonctionnement opérationnel comme de trésorerie, que la CFTC ne peut pas ignorer. Certains employeurs sont néanmoins déjà en règle, du fait de conventions collectives ou accords d’entreprise qui prévoient déjà l’acquisition de congés payés en cas de maladie. D’autres entreprises – et avec elles, les emplois qu’elles pourvoient – pourraient en revanche être fragilisées par la nécessité de s’acquitter de coûts qu’elles n’auraient en aucun cas pu anticiper budgétairement. Par ailleurs, il est possible qu’un certain nombre d’entre elles engagent la responsabilité des pouvoirs publics devant les juridictions administratives, l’absence de transposition de la directive européenne par l’Etat leur ayant causé un préjudice financier.
La CFTC alerte également quant aux conséquences que pourrait engendrer ce principe de rétroactivité des congés payés : du fait des surcouts qu’il génère, certaines sociétés pourraient en effet décider de revenir sur des avantages extralégaux initialement prévus par leur convention collective (jours de congés supplémentaires, titres-restaurant, primes etc…). Il ne faudrait donc pas que ce nouveau droit – en bénéficiant à une minorité de salariés malades – s’accompagne d’une perte de droits pour l’ensemble des salariés d’une entreprise. Afin de prévenir ces potentiels effets pervers, la CFTC en appelle naturellement au dialogue social : un audit de la situation de tous les salariés et un dialogue raisonné entre leurs représentants et l’employeur doit permettre une application harmonieuse de ce nouveau droit, afin qu’il puisse favoriser les intérêts de tous les travailleurs, sans fragiliser la pérennité de l’entreprise.
Retrouver l’article sur le site de la CFTC.fr