22 novembre 2024

Ce qu’il faut retenir des accords sur l’emploi des séniors et l’assurance-chômage

Fin octobre, les partenaires sociaux avaient entamé une double négociation sur l’emploi des seniors et l’assurance-chômage. Ils ont su répondre aux objectifs budgétaires du gouvernement, tout en introduisant la création d’un CDI sénior, un meilleur cadrage de la retraite progressive et fait de l’emploi des travailleurs séniors un objet à part entière du dialogue social. Autant de sujets où la CFTC a joué un rôle central, en vue de trouver des compromis et d’aboutir à des textes d’accords, signés par notre organisation.

Frédéric Belouze, chef de file sur les questions d’emploi/chômage et représentant CFTC lors des négociations, revient sur les mesures introduites par ces accords.

Le 22 octobre, les organisations syndicales et patronales ont entamé une négociation sur l’Assurance chômage et l’emploi des seniors. Pouvez-vous nous présenter le contexte de ces pourparlers?

Pour faire court, après l’échec de la négociation des partenaires sociaux sur les parcours professionnels et l’emploi des seniors en avril 2023, le gouvernement Attal avait repris la main sur l’assurance chômage. Il avait ainsi préparé un décret sur le dispositif, qui durcissait significativement les règles d’indemnisation du régime, fragilisant ainsi les demandeurs d’emploi. Suite à la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron, la publication de ce décret avait cependant été suspendue. Les partenaires sociaux ont donc été invités par le gouvernement Barnier à reprendre les négociations sur le sujet, pour arriver à un accord mi-novembre, en vue d’une application effective au 1er janvier 2025.

Quels étaient les objectifs et enjeux de cette négociation ?

Elle était structurée autour de deux grands sujets. L’emploi des séniors d’une part, dans l’optique de favoriser le maintien en emploi des séniors. L’assurance chômage d’autre part, le gouvernement nous ayant imposé au passage un cadre budgétaire: nous devions faire en sorte que le régime dégage 400 millions d’euros supplémentaires d’économie par an. Pour les partenaires sociaux, les enjeux étaient donc clairs : nous étions conscients que nous avions une obligation sociale et morale de parvenir à un accord. En cas d’échec, l’Etat aurait pu en effet répondre par un texte dans la veine du décret Attal abandonné sur l’assurance chômage.

S’agissant de la retraite progressive, exiger à tout prix l’opposabilité aurait acté l’échec des discussions

Évoquons désormais les thèmes structurants de cette négociation. A commencer par la retraite progressive, un dispositif que ces pourparlers avaient notamment pour ambition de renforcer.

Rappelons, d’abord, en quoi consiste la retraite progressive. Il s’agit d’un dispositif d’aménagement de fin de carrière, qui permet aux salariés séniors de percevoir une partie de leur retraite tout en continuant à exercer leur activité professionnelle à temps partiel. A cet égard, la CFTC a obtenu une avancée majeure : le texte d’accord permet désormais aux salariés de demander leur retraite progressive dès 60 ans, au lieu de 62 ans actuellement.

Au début des discussions, certains syndicats voulaient aussi absolument que cette retraite progressive devienne un droit dit « opposable ». C’est-à-dire, de faire en sorte qu’elle ne puisse plus être refusée par l’employeur à un salarié sénior qui en fait la demande. Cependant, la CFTC n’a pas voulu faire de ce droit précis l’alpha et l’oméga de la négociation. Tout simplement parce que nous savions que c’était une ligne rouge absolue côté employeur. Exiger à tout prix l’opposabilité aurait acté l’échec des discussions.

Qu’est ce qu’a préféré proposer la CFTC, sur ce versant de la négociation ?

Nous avons pu préconiser une voie médiane, relative à l’encadrement des motifs de refus de demandes de retraite progressive. Il faut savoir que ces demandes sont déjà encadrées par le droit du travail : le refus de l’employeur doit être expliqué. Néanmoins, nous avons obtenu que ce motif de refus soit justifié et argumenté par écrit, afin qu’il soit vraiment objectivé et contextualisé, en fonction des spécificités propres à chaque poste et à chaque salarié concerné. Cette disposition du texte doit donc permettre, en somme, de rigoriser les motifs de refus.

Étant donné les enjeux, il fallait absolument trouver un entre-deux. Les propositions de la CFTC ont souvent permis de dégager un compromis, dans cette négociation

Le patronat souhaitait également que ces négociations aboutissent à la création d’un CDI pouvant être spécifiquement proposé aux salariés séniors. Ce dispositif devrait-il voir le jour ?

En effet. Ce nouveau dispositif, baptisé « contrat de valorisation de l’expérience » vise à faciliter l’embauche des chômeurs plus âgés. A ce sujet, la CFTC et les autres partenaires sociaux ont veillé à ce que ce CDI sénior soit uniquement mobilisable pour des demandeurs d’emploi de plus de 6 mois, qui sont âgés de 60 ans ou plus. Il ne fallait pas, par exemple, que l’employeur ait la possibilité de proposer un CDI sénior aux salariés qu’il a déjà embauchés en CDI classique.

Maintenant, en quoi consistera précisément ce CDI sénior ? D’abord, il déroge au droit commun sur plusieurs points : il permettra ainsi à l’employeur de mettre fin à un CDI sénior, en procédant à la mise à la retraite de la personne concernée. Pour ce faire, il faudra que le travailleur sénior ait atteint l’âge légal de départ à la retraite et remplisse les conditions lui permettant de toucher une retraite à taux plein. Le cas échéant, l’employeur bénéficiera d’une exonération de cotisations de 30 % sur le montant de l’indemnité qu’il est tenu de verser à son salarié, lors de son départ en retraite.

Les organisations patronales demandaient aussi à ce que les employeurs soient exonérés d’une partie de leurs cotisations versées à l’assurance chômage, sur les contrats signés en CDI sénior. Est-ce une disposition prévue par le texte?

D’abord, il faut souligner que, sur le principe, la CFTC n’était pas favorable à la mise en œuvre de ce type d’exonération : ça revient un peu à faire de certains salariés séniors des travailleurs à bas coût…C’était clairement un point dur de la négociation, mais j’en reviens à ce que je disais au début de notre entretien : étant donné les enjeux, il fallait absolument trouver un entre-deux. C’est d’ailleurs une proposition de la CFTC qui a permis de dégager un compromis ici.

Les syndicats ont obtenu que la négociation sur l’emploi des séniors devienne un sujet à part entière et obligatoire du dialogue social

En l’occurrence, quel compromis ?

S’agissant des exonérations de cotisation demandées par les employeurs, elles figurent bien dans l’accord. Néanmoins, conformément à ce qu’a proposé la CFTC, elles ne pourront s’appliquer au plus tôt qu’au 1er janvier 2027 et sur accord unanime des signataires du texte. Les partenaires sociaux devront se prononcer sur le sujet au plus tard le 30 septembre 2026, après avoir évalué l’efficacité des mesures introduites par le texte. Dit plus simplement: tant que ce contrat de valorisation d’expérience n’aura pas réellement prouvé qu’il facilite le retour en emploi des séniors, nous y resterons défavorables et ces exonérations de cotisations ne seront pas mobilisables.

Ces discussions avaient également pour objectif de faire de l’emploi des séniors un objet à part entière du dialogue social.

Oui, c’est un chapitre majeur de nos échanges. Les syndicats ont obtenu que la négociation sur l’emploi des séniors devienne un sujet à part entière, obligatoire. C’est un progrès important, parce qu’auparavant aucune négociation n’y était spécifiquement consacrée. Ces pourparlers sur l’emploi des séniors devront donc se tenir tous les 3 ans au niveau de la branche, ainsi que dans toutes les entreprises d’au moins 300 salariés.

Nous avons également défini des thèmes qui devront être obligatoirement traités lors d’une négociation emploi des séniors : les modalités de recrutement des salariés expérimentés, le maintien dans l’emploi et l’aménagement des fins de carrière, ou encore la transmission des compétences des salariés expérimentés (qui englobe les missions de mentorat, de mécénat et de tutorat). Par ailleurs, nous avons également obtenu que l’entretien de mi- carrière, qui suit le 45e anniversaire d’un salarié, soit renforcé dans ses objectifs de maintien dans l’emploi.

La baisse des allocations chômage de certains travailleurs frontaliers répond à une logique d’équité

S’agissant des 400 millions d’euros d’économie annuelles sur l’Assurance chômage, elles devraient notamment se traduire par une baisse des indemnisations de certains travailleurs frontaliers. Vous pourriez nous en dire plus ?

En préambule, précisons que les travailleurs frontaliers qui devraient être impactés par cette baisse d’indemnisation ne sont pas ceux qui travaillent en Belgique ou Espagne, mais plutôt au Luxembourg, en Suisse… Ensuite, il faut bien comprendre que cette baisse des allocations répond à une logique d’équité : tout simplement parce que ces travailleurs ne cotisent pas en France, mais dans le pays où ils travaillent. Seulement une petite partie des cotisations qu’ils versent au pays en question sont rétrocédées à la France. Ils sont, en revanche, indemnisés par le régime français quand ils perdent leur emploi. De plus, ils perçoivent des indemnités calculées sur la base de leurs salaires perçus à l’étranger, en général plus élevés qu’en France.

Les partenaires sociaux ont donc mis en place un coefficient réducteur propre à chaque Etat, en fonction de la différence de niveau de vie entre le pays de travail et le pays de résidence. Selon l’Unedic, cela pourrait potentiellement permettre au régime de réaliser autour de 250 millions d’euros d’économie par an, ce qui n’est évidemment pas négligeable.

Cet accord sur l’assurance chômage acte enfin le relèvement de deux ans des bornes d’âge ouvrant droit à une indemnisation chômage plus longue, pour les demandeurs d’emplois les plus expérimentés.

Tout à fait. Concrètement, l’âge minimum qui ouvre un droit à 22,5 mois d’indemnisation maximum* passe de 53 ans à 55 ans, à partir du 1er avril prochain. Celui donnant droit à 27 mois d’allocation* passe de 55 ans à 57 ans. Par conséquent, les chômeurs de 53 et 54 ans seront désormais indemnisés 18 mois maximum, comme le prévoit le droit commun. Ce décalage de deux ans doit être nécessairement appliqué, sous réserve de la mise en œuvre effective du recul de l’âge légal de départ à la retraite, de 62 à 64 ans.

Par ailleurs, jusqu’à présent, seuls les demandeurs d’emploi de 53 et 54 ans qui suivent une formation avaient la possibilité de prolonger de 4.5 mois leurs droits au chômage (6 mois en outre-mer). Le texte prévoit que ce prolongement puisse être uniquement sollicité à partir de 55 ans. Cependant – conformément à une proposition de la CFTC – ce prolongement sera désormais accessible à tous les chômeurs indemnisés suivant une formation, qui sont âgés de 55 ans ou plus. Cet élargissement des bénéficiaires vise à permettre à davantage de séniors de gagner en employabilité, tout en prolongeant leur indemnisation. Et donc, à terme, de retrouver plus sereinement un emploi conforme à leurs attentes et qualifications.

*Cette durée d’indemnisation maximum sera désormais de 30 mois en outre-mer pour les chômeurs de 55 à 57 ans, et de 36 mois pour ceux âgés de 57 ans et plus


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