À France Médias Monde, la CFTC s’oppose au projet de fusion de l’audiovisuel public
Maximilien, en préambule, pouvez-vous nous présenter France Médias Monde ?
Bien sûr. France Médias Monde est un groupe de médias public qui rassemble depuis 2008 les radios RFI et MCD, ainsi que la chaîne d’information en continu France 24. La caractéristique commune de ces médias, c’est leur vocation internationale, puisqu’ils émettent 24h/24 en 21 langues, à destination des 5 continents. Les journalistes du groupe et son réseau de correspondants offrent aux auditeurs, téléspectateurs et internautes une information ouverte sur le monde et sur la diversité des cultures, avec une perspective française.
Venons-en au cœur du sujet. En quoi consisterait cette réforme de l’audiovisuel public, voulue par le gouvernement ?
Elle viserait à regrouper France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA, au sein d’une seule holding, pour ensuite aboutir à une fusion de l’audiovisuel public en 2026. Les députés devaient initialement étudier ce projet de réforme les 23 et 24 mai, avant l’annonce de son report, en raison d’un calendrier parlementaire surchargé. L’intersyndicale de l’audiovisuel public, qui avait prévu d’interpeler les parlementaires lors de l’examen de la proposition de loi, a toutefois maintenu son appel à la grève, qui a été très suivi à Radio France, France Télévisions et France Médias Monde.
Il faut par ailleurs souligner que de nombreuses zones d’ombre subsistent encore dans ce projet : à titre d’exemple, on ne sait pas si France Médias Monde sera ou non concerné par cette fusion, comme le souhaite la ministre de la Culture Rachida Dati.
Quels arguments le gouvernement avance-t-il, pour défendre cette fusion des médias publics ?
Pour les salariés de l’audiovisuel public et les syndicats, la première volonté derrière cette réforme, c’est d’abord de couper dans la masse salariale pour faire des économies. Mais cette volonté de réduction de dépenses n’est – à ce stade – pas du tout assumée par ceux qui portent cette initiative. Ce projet de fusion plaide, en somme, pour la création d’une « BBC à la française »: ce regroupement des médias publics dans une seule entité viserait à empêcher que les réseaux sociaux deviennent la source d’information dominante. Il permettrait aussi supposément de lutter contre la concurrence des plateformes de VOD, comme Netflix ou Amazon.
Honnêtement, c’est à peu près tout. Les partisans de ce projet se contentent d’affirmer, sans jamais le démontrer, que l’audiovisuel public serait plus fort, une fois fusionné. Mais aucune preuve solide, aucun élément construit et étayé, ne l’atteste vraiment.
Pourquoi la CFTC et l’intersyndicale doutent plus précisément du bien-fondé et de l’utilité de ce regroupement ?
D’abord, parce que les médias de l’audiovisuel public fonctionnent déjà très bien. Si l’on se fie au seul critère de l’audience, les antennes de Radio France et les chaînes de France TV hissent les deux groupes à la place de leader. Pour ce qui concerne France Médias Monde, nos programmes rassemblent autour de 170 millions de téléspectateurs et auditeurs hebdomadaires dans le monde entier. Chaque semaine, près de 90 millions d’internautes consultent aussi nos environnements numériques.
Nos entreprises ont par ailleurs des cultures et un fonctionnement très différents : Radio France et France Médias Monde produisent l’essentiel de leurs programmes, alors que France Télévisions recourt massivement à des sociétés de production extérieures. Enfin, cette fusion n’a que peu – ou pas – de sens, d’un point de vue éditorial. Quand les salariés de France Médias Monde entendent le député Quentin Bataillon proposer de remplacer France 24 par France Info, on se dit par exemple qu’on marche sur la tête.
Pourquoi ?
Récemment, une journaliste m’a demandé si nos rédactions ne pourraient pas devenir une sorte de « super service » international, au sein de cette holding fusionnée. Mais un service international classique, comme celui de France Info, vise à s’adresser à un public français. Nous, nous avons vocation de nous adresser au monde. Nos différentes rédactions, essentiellement basées à Issy-les-Moulineaux, comptent pas moins de 64 nationalités différentes, et peuvent également s’appuyer sur un réseau de correspondants sans égal.
France 24, ce n’est d’ailleurs pas une, mais 4 chaines, et autant de rédactions qui leur sont consacrées en anglais, français, arabe et espagnol. RFI émet, pour sa part, dans 16 langues différentes. Tous ces canaux adaptent leurs contenus aux pays dans lesquels ils sont diffusés. Même s’il y a une cohérence éditoriale qui les rassemble tous, on ne va pas parler des mêmes choses aux même personnes, et de la même manière non plus.
France Médias Monde a finalement une ligne éditoriale assez unique, au sein de l’audiovisuel public.
Oui, mais je pense aussi que le cas de France Médias Monde illustre bien ce qui constitue la pluralité et la force des médias publics : ce qui nous démarque de la concurrence, ce sont nos expertises singulières, nos spécialisations. Ce raisonnement vaut aussi pour d’autres médias, comme les antennes de France Bleu, qui ont un savoir-faire inégalé pour relayer l’actualité locale. Tout regrouper, fusionner, nuirait à ce qui fait précisément notre richesse, notre diversité.
Très concrètement, quelles sont les craintes de la CFTC pour France Médias Monde, en cas de fusion de l’audiovisuel public ?
Notre principale préoccupation, c’est d’être noyé dans ce nouvel ensemble. France Médias Monde représente seulement 7% du budget annuel de l’audiovisuel public. A l’échelle de France TV ou de Radio France, notre poids est marginal. En cas d’arbitrages budgétaires, nous pouvons légitimement craindre que nos médias soient relégués au second plan. Notre spécificité éditoriale – internationale et multilingue – risquerait aussi de se retrouver diluée au sein de ce nouvel ensemble.
En outre, la ligne éditoriale de France Médias Monde véhicule également des valeurs et principes démocratiques et humanistes portés par la France : la liberté d’expression, l’égalité des femmes et des hommes et de tous les citoyens, le refus de toutes les discriminations, la laïcité etc…Diminuer les moyens du groupe, c’est donc aussi se priver d’une certaine façon de rayonner à l’international.
A défaut de fusion, des économies ne peuvent-elles pas être envisagées ?
A France Médias Monde, nous avons déjà réalisé tous les gains de productivité possibles, y compris dans la douleur, via des plans de départs volontaires, en 2009, 2012 et en 2020. Le gouvernement exige en effet régulièrement des économies et n’hésite pas à raboter notre budget, censé être garanti par un contrat pluriannuel d’objectifs passé avec l’État. Les fonctions support de France Médias Monde sont déjà sous-dimensionnées : la transition numérique, vitale pour l’avenir de notre groupe, ne bénéficie pas des financements nécessaires, la direction des technologies n’arrive plus à assurer ses missions, faute de ressources… Nous ne voyons donc pas comment nous pourrions faire plus d’efforts, sans nuire gravement à nos missions.
En revanche, de nombreuses synergies ont été mises en place ces dernières années entre les entreprises de l’audiovisuel public. Qu’il s’agisse de mutualiser nos ressources, développer des coopérations éditoriales ou de mettre en œuvre des projets communs (France info, Lumni, Culture Prime, etc.), ces initiatives ont démontré que nous pouvons travailler efficacement ensemble, sans pour autant fusionner.
Comment la CFTC se projette-t-elle, concernant la suite du mouvement social ?
L’examen du projet de loi de la réforme de l’audiovisuel public a été reporté, vraisemblablement fin juin. Nous attendons de voir ce qu’il va en découler. Quoi qu’il en soit, nous resterons mobilisés pour nous opposer à un projet de réforme qui remettrait en question la singularité de France Médias Monde, et menacerait l’audiovisuel public dans son ensemble.
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