24 novembre 2023

Imane Harraoui : « L’intéressement, les primes et la participation ne doivent pas se substituer à une hausse des salaires »

Membre du bureau confédéral, Imane Harraoui s’est spécialisée sur les enjeux liés aux évolutions des rémunérations et au partage de la valeur, dont elle fait ce jeudi 16 novembre la synthèse, lors du Congrès 2023. Si la CFTC a œuvré à un élargissement des mécanismes de redistribution, elle explique pourquoi notre organisation milite d’abord pour une augmentation globale des salaires, qui doit rester la première modalité de partage des bénéfices en entreprise.

Imane, dans un contexte de forte inflation, le gouvernement a convoqué le 16 octobre dernier les partenaires sociaux à une conférence sociale sur les bas salaires. Que bilan pouvez-vous en retirer ?

Il y a eu quelques annonces intéressantes, dont certaines font écho à des propositions de la CFTC : la création d’un Haut Conseil de la rémunération pour réfléchir sur la durée à la rémunération des salariés en fait partie. La première ministre a aussi évoqué, à l’issue de cette conférence sociale, la mise en œuvre de possibles sanctions concernant les branches dont les minimaux salariaux sont inférieurs au Smic, alors que ceux-ci doivent pourtant être légalement augmentés. Néanmoins, une réévaluation effective des salaires, par exemple via l’introduction de nouvelles dispositions légales, se fait toujours attendre.

Vous évoquiez à l’instant un problème récurrent, celui des branches dont les minimaux salariaux, notamment du fait de l’inflation, se retrouvent illégalement inférieurs Smic. Comment y remédier alors que, selon le Ministère du travail, 45 branches étaient encore concernées par cette irrégularité mi-octobre dernier ?

Le 17 octobre, les parlementaires ont voté un projet de loi sur le partage de la valeur. Ce texte reprend certaines dispositions d’un accord national interprofessionnel (ANI) signé en février 2023 par les partenaires sociaux sur ce sujet. Il prévoit notamment une obligation de négociation des grilles de classification des salaires en prenant en compte les objectifs d’égalité professionnelle avant la fin de l’année en cours, pour les branches qui n’ont pas procédé à cette réévaluation depuis plus de cinq ans. Cela permettra déjà de réaligner le SMIC à son niveau réglementaire dans les branches concernées, même si le problème est d’ordre plus générique et structurel : il faut absolument que toutes les branches se mettent systématiquement à rehausser le montant du SMIC, quand ce dernier est légalement réévalué, pour compenser l’inflation. Ensuite, les salaires en dessous de la valeur du SMIC sont un sujet, celui du tassement des grilles salariales en est un autre. On observe que les écarts de rémunération entre chaque coefficient (l’indice associé au poste de chaque salarié, qui augmente en fonction de son niveau de responsabilité) sont devenus beaucoup trop faibles. Les salariés montent parfois en compétence et en grade au sein de l’entreprise, sans que leur salaire n’évolue substantiellement en contrepartie. La CFTC demande donc que les négociations de branche prévoient un écart minimum entre chaque coefficient. En cas d’échec des discussions, elle milite aussi pour qu’un différentiel minimum entre chaque coefficient soit établi par la loi.

Les négociations annuelles obligatoires (NAO) – imposées périodiquement par le législateur au sein des entreprises – ne permettent-elle plus de faire repartir les salaires à la hausse ?

Pour la CFTC, si une entreprise a réalisé des bénéfices, il est normal qu’elle partage la valeur de ses bénéfices avec ceux qui ont contribué à les réaliser- c’est-à-dire les salariés. Ceci étant dit, on observe que les NAO ont de plus en plus tendance à privilégier l’établissement de dispositifs de primes – comme l’intéressement, la participation et les primes dites Partage de la Valeur – à des augmentations de salaires pures et simples. Ces primes ne sont pas inintéressantes, loin s’en faut, mais la CFTC estime que leur utilisation ne doit pas cannibaliser les hausses de salaires. C’est pour ça qu’elle demande une dissociation des temps de la négociation :  une discussion spécifique devrait être consacrée à l’établissement de procédés de partage de la valeur et une autre intégralement dédiée aux salaires.

Pourquoi ces dispositifs de primes sont-ils – pour le salarié comme pour l’ensemble du système de protection social – moins avantageux qu’une hausse structurelle des salaires ?

Prenons un exemple concret : si vous êtes amené à demander un crédit à votre banquier, il va regarder l’évolution de votre salaire récurent. Si celui-ci a stagné mais que vous avez touché des primes en contrepartie, le banquier n’en tiendra pas compte, car ces bonus sont conjoncturels. En résumé, la non revalorisation des salaires au profit des primes réduit l’accès au crédit de certains citoyens, qui sont limités dans leur possibilité de se projeter dans l’avenir. Par ailleurs, contrairement aux salaires, les primes exceptionnelles (tout comme les produits d’épargne salariale) sont exonérées de cotisations, créant ainsi des manques dans notre système de protection sociale.

S’il est entendu qu’ils ne doivent pas se substituer à la hausse des salaires, la CFTC a-t-elle pu œuvrer à l’amélioration de ces dispositifs de partage de la valeur ?

Le projet de loi en cours d’adoption reprend en effet plusieurs dispositions de l’ANI, qui améliorent ces dispositifs de prime. A compter de 2024, les entreprises de onze salariés ou plus pourront notamment mettre en place la participation, alors que seules les sociétés employant au moins 50 salariés en avaient jusqu’ici l’obligation. Par ailleurs, les sommes obtenues via des primes de partage de la valeur peuvent ensuite être placées sur un plan d’épargne entreprise, où elles sont exonérées d’impôts sur le revenu. Elles y sont néanmoins bloquées pendant cinq ans, sauf en cas de circonstances exceptionnelles (mariage, naissance d’un enfant, divorce…). A la demande de la CFTC, l’ANI a donc inclus des cas de figures additionnels, qui permettent de débloquer par anticipation cette épargne salariale. Ce déblocage deviendra, par exemple, accessible aux travailleurs aidants, à l’achat d’un véhicule dit propre pour anticiper les évolutions et obligations à venir sur ce dernier point.

S’il peut être intéressant d’élargir ces mécanismes de redistribution, comment veiller à ce qu’ils ne restent qu’un enjeu périphérique à l’augmentation des salaires, qui doit rester au cœur des négociations ?

Il est fondamental de conserver ce sens des priorités. Le projet de loi partage de la valeur- conformément aux dispositions de l’ANI – affirme à cet effet un principe de non-substitution : il stipule que les sommes versées au titre du partage de la valeur ne peuvent en aucun cas remplacer les revalorisations de salaires. Néanmoins, la CFTC estime que les progrès induits par l’adoption du texte sont encore trop modestes, car circonscrits à ces mécanismes annexes de répartition des bénéfices : elle continuera donc de militer pour une revalorisation générale des salaires, qui reste le meilleur moyen de partager la valeur en entreprise.


Consulter l’article sur le site CFTC.fr